LES MUSIQUES ET DANSES DU MONDE AU CŒUR DES ENJEUX DE SOCIÉTÉ
Les acteurs des musiques et danses du Monde en Île-de-France sont nombreux. Un certain nombre d’entre eux ont constitué un collectif informel et collabore à l’occasion de façon empirique. Le statut des structures concernées, leurs actions, leurs choix artistiques peuvent être différents. Leurs positionnements dans les problématiques de territoire, les valeurs qui sous-tendent leurs actions, leur revendication d’un rôle dans la société civile, les rapprochent. C’est en travaillant en commun sur ce qui les unit que ces structures ont abouti en 2010 au texte qui suit. Il expose les valeurs fondamentales, les démarches et les objectifs, qui font sens par rapport aux territoires où œuvrent ces structures.
L’Île-de-France, un territoire particulier et plein de potentiels pour les musiques et danses du monde
La population de l’Île de France est, pour une grande part, le fruit de l’exode rural des provinces françaises et de l’immigration de populations étrangères. Forte originalité : dans cette région, coexistent des gens du monde entier et l’INSEE nous rappelle que 4 immigrés sur 10 vivent en Île de France, que 37 % des étrangers y résident et qu’un habitant sur 6 est immigré…
Les élus, les acteurs de l’éducation, de la vie associative, de la culture sont confrontés aux questions que pose cette diversité. Si elle peut être regardée comme un richesse, elle exige également de répondre aux problèmes du dépassement de la juxtaposition d’univers ghettoïsés, de la marginalisation de certaines populations, pour partager un espace de vie commun, être ensemble parties prenantes d’un même territoire, d’une même citoyenneté.
L’Île-de-France – ses territoires multiples, ses quartiers populaires – est un laboratoire du futur. Cette région est le lieu d’une problématique anticipatrice où peuvent se vivre les prémices d’une citoyenneté ouverte sur le monde, la construction d’une identité régionale portée par un socle commun de valeurs qui respectent les particularités et les modes d’expression de chacun, de nouvelles façon de « vivre ensemble ».
Les Musiques et Danses du Monde, outils d’une démarche adaptée…
Nous pensons que les musiques et danses du monde peuvent jouer un rôle dans cet environnement, parce qu’elles sont l’expression vivante des populations. Elles ont la particularité d’être à la fois du côté de l’art et de la pratique sociale, du patrimoine et de la création. Elles ont la singularité de toucher une multitude de domaines de la vie sociale et culturelle et concernent de nombreux acteurs des vies locales.
La démarche des acteurs de ce domaine entre en résonance avec les problématiques du territoire francilien. Elle questionne la mémoire, les racines, les identités culturelles en perpétuelle construction. Se jouant de la tension entre mémoire individuelle et mémoire collective, mettant la création et l’art au centre de la pratique des individus, elle les implique dans un processus à la fois culturel, artistique et citoyen.
Il ne s’agit pas de simplement diffuser ces musiques mais de les utiliser comme un véritable instrument de construction et de développement. On ne peut plus se contenter de la logique de l’offre culturelle ou de son inverse : répondre à la demande. Il nous faut inventer de nouvelles démarches et de nouvelles pédagogies pour construire nos projets culturels. Non plus consommer des produits finis mais être expérimentateurs de formes nouvelles.
Les musiques et danses du monde peuvent contribuer, en partant des personnes et des pratiques, à élaborer en commun des projets permettant à chacun de prendre toute sa place, de dépasser la cohabitation parallèle, l’enfermement communautariste. Et nous voulons le faire à travers le travail en commun, la coopération.
C’est pourquoi il est aujourd’hui nécessaire, pour un mieux-vivre ensemble, de mettre en interaction la nation politique républicaine « une et indivisible dans son principe d’égalité des droits » et la nation culturelle « de multi appartenances ». Un système social ne peut exister sans un système culturel, et un système culturel sans système social est une civilisation morte. Il est nécessaire que les deux systèmes se nourrissent mutuellement.
Nous faisons référence au texte de l’Unesco sur la diversité culturelle en concevant nos actions selon un processus d’interaction et de participation et nous constatons que l’agenda 21 constitue aussi un pôle de références et de réflexions pour agir…
Des convictions humanistes
Prendre l’homme dans sa diversité
« Tout être humain est porteur d’une culture. Personne ne naît sans culture ; chaque culture apporte quelque chose à la construction de l’humanité. » [1]
Les musiques du monde sont une façon particulière de mettre l’Homme au centre de l’acte. Pas l’Homme universel mais le porteur de spécificités. C’est un attachement à la particularité, à une autre façon d’être un humain. On ne part plus de l’œuvre mais des pratiques des individus, du sens qu’ils leur donnent. « On reconnaît aux personnes le droit d’avoir leurs représentations du monde ». [2]
Nous pensons qu’il y a une égale dignité des cultures
Les productions culturelles sont porteuses d’identité, de valeurs, de sens, et ne peuvent pas être considéré comme des marchandises comme les autres. L’on ne peut pas respecter certaines d’entre elles et n’être que condescendance pour d’autres, sans porter atteinte à la dignité des secondes.
Les musiques non écrites ont la même profondeur historique que les autres et ne leur cèdent en rien en qualité ni en dignité.
Le droit à vivre la diversité culturelle
La reconnaissance de l’égale dignité des répertoires et des cultures nous permet de revendiquer d’autres expressions que celles qui sont valorisées par le Marché ou l’Institution.
Hors d’une mondialisation qui ne serait qu’une occidentalisation, nous créons un espace où l’on peut vivre de façon satisfaisante la diversité culturelle sans le diktat des modèles dominants.
Des convictions sociales et citoyennes
« Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l’inclusion et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix. Ainsi défini, le pluralisme culturel constitue la réponse politique au fait de la diversité culturelle.» [3]
Le vivre ensemble
S’il y a égale dignité des répertoires et des cultures alors il faut que les unes et les autres aient un vrai accès à l’espace public. D’où la nécessité de la reconnaissance (je suis nié si ma culture n’est pas reconnue) et de l’intervention de l’institution. Rentrer dans l’espace public c’est se confronter à d’autres, se faire reconnaître, et reconnaître les autres, établir des coopérations…
Construire à travers le débat et la négociation
Le débat nécessaire à l’élaboration d’un projet oblige les participants à se confronter au référentiel commun. C’est l’inverse du repli communautariste et identitaire. Il s’agit de construire une relation de citoyenneté avec d’autres acteurs, d’autres structures du territoire, de développer le vivre ensemble, de casser les images simplistes.
La chair sociale d’un projet culturel, se trouve autant dans le processus de sa mise en œuvre que dans son objet.
Des convictions culturelles et artistiques
La démarche artistique
L’art est du domaine de l’excellence et de l’exception. C’est un moment privilégié de la pratique culturelle plus quotidienne.
La démarche artistique, dans le domaine des musiques et danses du monde, n’a de sens qu’expérimentée par la collectivité, et que si elle contribue à l’enrichir émotionnellement.
L’artiste est légitime pour dire la souffrance, le conflit, les joies, pour construire des ponts et des ouvertures entre les identités.
L’art met en interaction et donc en équilibre. Il crée un imaginaire social différent de celui que nous propose le marché.
Un patrimoine musical de qualité et original
Fruits de cultures séculaires, ces musiques sont belles et porteuses de richesses, dans les domaines rythmiques, organologiques, modales, poétiques….
Les formes sociales de leur pratique (espace public ou privé, formes dansées, vie festive) sont différentes. Elles ont un impact émotionnel fort. Elles insistent particulièrement sur la dimension relationnelle, festive et sociale. Les formes d’action et de spectacles sont volontiers participatives, le public étant acteur de l’évènement.
Des musiques qui se prêtent à la création
De par leur oralité ce sont des musiques vivantes, mobiles, découvreuses, porteuses d’une plasticité ouverte sur le monde.
Elles permettent une approche contemporaine de cet héritage ancien que nous accueillons avec notre sensibilité d’aujourd’hui.
Le contexte francilien permet de faire se rencontrer, se confronter des formes héritées et des formes nouvelles contemporaines ; d’où des alliances inattendues, des productions singulières.
Une pédagogie alternative
La transmission orale, même lorsqu’elle s’accompagne de l’écrit, permet de proposer une pédagogie innovante : être sur le sens plus que sur la forme, sur la participation plus que dans la performance, dans le global plus que dans l’analytique.
L’oralité fait appel à des ressources particulières chez l’apprenant et permet de développer une musicalité que d’autres moyens peinent à mettre en place. Ces formes musicales permettent une implication personnelle plus rapide dans un acte musical collectif.
[1] [2] [3] Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, 2001.
Mettre les pratiques des personnes au centre de la dynamique du projet constitue une démarche alternative à la démarche de l’engineering de l’offre et de la demande
Dès lors que l’on estime que la cohésion sociale dans l’espace public implique la prise en compte des singularités culturelles, il est nécessaire de faire le choix du débat et de la négociation ; de prendre le temps de considérer les conflits de valeurs.
Cela nous positionne dans la capacité à faire évoluer les systèmes de représentations par la construction d’une relation et d’un engagement citoyen. En d’autres termes, il s’agit de construire l’action en travaillant « avec » et non « pour » les autres.
Ce débat oblige les participants à se confronter au référentiel commun. C’est l’inverse du repli communautariste et identitaire. En bref, il s’agit de développer le vivre ensemble, de casser les images simplistes, de viser une transformation sociale.
Cela implique une expérimentation permanente : un lien constant entre pratique, réflexion et production. Il s’agit de conduire une véritable démarche de projet pour créer des situations riches et innovantes.
Chaque situation sera dépendante :
• des acteurs qui la composent en tenant compte de leurs caractéristiques (les personnes, les artistes, les familles, les élus, les associations, …),
• des éléments contextuels qui la conditionnent, (économique, politique, social, culturel, matériel, lieux, …)
• des orientations du projet (pédagogique, créatif, artistique, institutionnel, …)
Chacune est singulière, aléatoire, voire imprévisible. Il suffit de changer un de ses éléments constituants pour que celle-ci évolue de manière différente.
De ce fait, aucune situation ne peut se penser en termes de modèle figé. Chacune devra faire l’objet d’une préparation minutieuse.
Coopérer peut s’avérer coûteux dans un premier temps : explication, délibération, énergie pour débattre …
Mais travailler et agir conjointement pour un objectif commun s’avèrent très fructueux à moyen et long terme ; et la structure de coopération mise en œuvre permet aussi de participer au développement des capacités tant personnelles que fédératives.
Les Musiques et Danses du Monde : un champ culturel spécifique qui porte en lui cette démarche interactive
Ce sont des pratiques collectives qui accompagnent au quotidien la vie du groupe social dans ses fêtes, ses rites, son travail. De ce fait, le rapport entre public et musiciens est un acte fondamental qui implique une relation ludique, festive et créatrice.
Ce sont des musiques dont la transmission repose sur l’oralité; elles posent un autre contexte à l’acte musical. Même quand l’ « œuvre » n’existe que dans la tête de l’« artiste », du « transmetteur », elle n’a de réalité que celle qui lui est donnée sur le moment et dans ce contexte. Elle reste cependant soumise au verdict du cercle des connaisseurs. Pas d’acte musical clos et définitif, pas de « par cœur » verrouillé, pas de « version originale » mais des versions multiples toutes aussi légitimes les unes que les autres, formées qu’elles sont par le même moule, la même sensibilité.
Ce sont en conséquence des musiques en perpétuel mouvement, d’une extrême variabilité, et pouvant par leur malléabilité même transmettre à travers les siècles des répertoires et des esthétiques vivants.
Cela implique une disponibilité d’esprit, une aptitude à accueillir la modification, le changement et à y réagir. Cela exige une flexibilité de la pensée, stimule la créativité et l’autonomie, fait appel à la spontanéité.
En conséquence elles ont la capacité d’être ouvertes à d’autres esthétiques,prêtes à l’hybridation.Non figées, elles sont constamment disponibles pour la confrontation, la rencontre. Elles se nourrissent de tout apport nouveau, se régénèrent au contact d’autres approches musicales. Dans notre contexte francilien, la confrontation est continuelle, donnant lieu à des créations multiples.
Le fondement même de nos démarches, c’est de mettre en tension, à travers les musiques et danses du monde, les particularismes et les valeurs républicaines de notre société.
La nature même de ces musiques les porte à ce débat, à cette négociation, à ce « faire » expérimental qui compose avec le contexte et que nous évoquions comme constitutifs de notre démarche. Elles ne sont pas simple objet musical, elles sont aussi intrinsèquement porteuses d’une démarche mentale et sociale.
Ces musiques offrent des spécificités intéressantes permettant un travail particulier sur notre territoire. Nous comptons utiliser à plein les outils qu’elles nous offrent. De l’application des valeurs énoncées, nous avons conclu à deux critères essentiels, régulièrement récurrents dans nos actions.
La rencontre humaine, et non pas celle d’une « œuvre »
On ne part plus de l’œuvre mais de la valeur que les individus donnent à leur pratique. Du sens qu’ils lui donnent.
L’oralité implique que l’œuvre n’existe que dans la tête de l’individu qui en est porteur, et du groupe qui la reçoit. Il n’y a pas d’auteurs, pas de partitions de référence. C’est ce que le musicien a à dire au moment où il le dit qui compte. C’est le contact émotionnel avec le public qui marque.
La retransmission, les actions pédagogiques joueront sur les mêmes mécanismes d’empathie, d’imitation, d’adhésion.
L’action cherchera systématiquement à créer un cadre de convivialité et de partage. Elle favorisera le contact et l’échange.
Une élaboration participative pour une société solidaire
Construire l’action en travaillant avec les autres et non pour les autres. On est sur des règles délibératives, sur de la négociation constructive. (C’est le contraire de l’engineering de l’offre et de la demande)
Avec pour objectif de faire venir les partenaires dans l’espace public de façon à ce que chaque participant s’engage à des ajustements concertés par rapport à un référentiel commun sur l’action qui nous rassemble.
Cela nous positionne dans la dynamique du débat. Dans la capacité à faire évoluer les systèmes de représentations. Dans la construction d’une relation et d’un engagement citoyen.
Notre propos n’est pas de projeter un modèle d’action, mais de profiter du fait que ces musiques interviennent, comme interface entre la diversité culturelle, l’exigence esthétique, l’action culturelle et la création artistique, la culture et la transformation sociale, pour développer à travers elles de nouvelles manières d’agir.
Notre démarche est riche et mérite plus de reconnaissance au regard de sa pertinence et des savoir-faire qui s’y sont développés.
Au delà de la reconnaissance d’une « esthétique » entre musiques actuelles, musiques traditionnelles et musiques savantes, ou d’une insertion dans des dispositifs – création, diffusion, formation, développement social local –, il s’agit aujourd’hui de consolider nos acquis et de donner tous les développements possibles à une démarche qui fait de notre secteur, un partenaire pertinent des politiques publiques.
Constituer un collectif :
• pour contribuer à la construction d’une citoyenneté républicaine et politique. La citoyenneté est indifférente aux identités ethniques, religieuses ou culturelles. Elle ne les nie pas.
• pour que ces expressions culturelles soient valorisées par les politiques publiques et accèdent davantage l’espace public.
À ces fins nous devons aussi :
• structurer et élargir un réseau régional, à partir des fondations existantes dans les divers départements à des niveaux certes différents mais réels.
• développer les démarches de formation et d’enseignement à tous les niveaux : de l’initiation à la professionnalisation.
• coordonner et renforcer le travail de diffusion dans toutes ses dimensions, y compris celles qui touchent à la question de la relation entre l’économie de la culture, l’économie sociale et solidaire et la coopération internationale.
• approfondir les démarches qui participent au vaste mouvement qui lie création et tradition dans le monde entier. Ces démarches artistiques actuelles en Ile de France peuvent permettre de conquérir une place majeure sur le plan international.
Il est certain que la dimension financière est essentielle. Cependant elle dépasse la simple question des subventions du secteur culturel. Nous devons engager un travail transversal qui mette en synergie l’ensemble des acteurs. Nous abordons, au delà de la dimension culturelle, la question économique quelles mutualisations, quelles relations entre culture et économie, économie sociale et solidaire, le développement social local et la coopération internationale. Nous exprimons ainsi notre volonté de nous positionner en acteurs et partenaires des politiques publiques.